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Innovation contre produit phare

25 décembre 2012

En informatique, il est de bon ton pour toute compagnie de se présenter comme novatrice. L’innovation est presque devenue un buzzword.

Bien évidemment, toutes les compagnies ne sont pas placées à la même enseigne. Dell s’est targué (du moins pendant un temps) d’avoir un budget recherche & développement très faible, se focalisant sur sa gestion des stocks. Mais certaines compagnies mettent réellement des moyens. Hewlett-Packard a été un pionnier en la matière, en demandant à tous ses ingénieurs de travailler sur un projet qui leur plaisait chaque vendredi après-midi. Non seulement le type de projet était totalement libre, mais les ingénieurs avaient accès à d’importantes ressources. La seule chose que HP leur demandait était de montrer au reste de la compagnie le résultat de leur travail.

Google a emprunté ce concept en demandant à ses ingénieurs de consacrer 20% de leur temps à des projets personnels. Microsoft n’est pas en reste, Microsoft Research possédant plusieurs centres de par le monde. Au final, le géant de Redmond a dépensé quelques $10 milliards en R&D pour son année fiscale 2012, Google $5,2 milliards. Apple a (relativement) des dépenses modestes avec « seulement » $3,4 milliards, bien qu’étant plus gros que Microsoft et Google.

Quelle influence ?

La R&D d’une telle taille a cependant un talon d’Achilles : le goulet d’étranglement reste les hauts dirigeants de la compagnie. Les ingénieurs peuvent concevoir des produits les plus géniaux qui soient, si l’entreprise ne veut pas les développer, cela reste des projets de laboratoire. Or les hauts dirigeants ne peuvent qu’approuver et financer un nombre limité de projets. Et bien que les ingénieurs aient carte blanche quant au type de projet, les produits qui ont le plus de chance d’être développés sont ceux qui supportent les produits phare de la compagnie.

Un cas d’école est le Xerox PARC de Palo Alto au coeur de la Silicon Valley. Ce parc mythique a été le berceau entre autres de l’interface graphique, l’imprimante laser, la programmation orientée objet ou Ethernet – excusez du peu. Mais Xerox n’a jamais profité de ces inventions car ces dernières ne s’intégraient pas à la stratégie de la compagnie qui consistait à vendre des photocopieuses.

Un article de Vanity Fair sur Microsoft donne des informations intéressantes sur le fonctionnement du géant du logiciel. L’article détaille comment tout est centré autour de Windows. Comment Bill Gates a tué un projet de liseuse en 1999 parce que l’interface ne ressemblait pas à Windows. Comment certains employés qui ont fait leurs armes dans les années 80/90 (et donc formés à l’école Windows / Office) ont désormais pignon sur rue et ne peuvent jamais avoir tort. Mais l’article semble assumer que ce phénomène de tout ramener à Windows est unique à Microsoft. J’en doute fortement.

Au bout du compte, dés qu’une entreprise a un produit phare (ou deux dans le cas de Microsoft), tout a tendance à tourner autour de ce dernier. Il est extrêmement difficile de lancer un produit qui ne supporte pas la stratégie maison, et quasiment impossible de lancer un produit concurrent.

Une exception à la règle est Apple. Steve Jobs avait comme particularité de ne pas avoir de vaches sacrées. Il a décidé de développer le premier Macintosh en repartant de zéro au lieu de se baser sur l’Apple II qui était le produit phare de l’époque – à contraster avec Microsoft qui a développé Windows comme application MS-DOS plutôt qu’un système d’exploitation à part entière. Mais Apple avait déjà tenté cette approche avec l’Apple III qui a fait un bide, et Steve Jobs sentait que l’Apple II était en perte de vitesse. 30 ans plus tard, la firme à la pomme n’a pas eu de problème à lancer l’iPod car elle n’avait pas vraiment de produit phare. Le Mac marchait de nouveau bien et permettait à la compagnie de survivre, mais Jobs savait que la guerre contre Windows était terminée depuis longtemps. Il est beaucoup plus facile de se lancer sur un nouveau marché lorsqu’on ne se sent pas lié à un produit phare comme c’est le cas de Microsoft. Mais même dans ce cas, les premiers iPod ne fonctionnaient qu’avec un Mac.

Apple a par contre désormais un produit phare avec l’iPhone. En 5 ans, l’iPhone rapporte plus de revenus que la totalité de Microsoft. Cela veut dire que tout produit Apple a la pression pour fonctionner avec iOS – même si ce dernier n’est pas adapté à la situation – et supporter iPhone.

Incubateur interne ?

On pourrait imaginer un modèle d’incubateur interne, où des investisseurs internes examinent les produits et décident de sponsoriser les technologies qu’ils trouvent les plus prometteuses – que le résultat soit en phase avec la stratégie de la compagnie ou pas. Mais dans la plupart des entreprises, la stratégie produit est décidée au plus haut niveau, et la concurrence entre produits est découragée. Microsoft est célèbre pour mettre en concurrence ses employés, mais une fois qu’une décision a été prise, il n’y a que peu de concurrence en externe. C’est ainsi que Redmond a refusé de lancer deux tablettes pour se concentrer sur Windows 8, même si elles étaient destinées à deux marchés potentiellement différents. Dans le cas de Google, une des actions de Larry Page une fois devenu PDG a été de tuer nombres de projets et produits. Apple, quant à lui, est célèbre pour son modèle top-down où quelques personnes haut placées décident des produits à lancer, le reste de la compagnie devant suivre.

Hewlett-Packard est peut-être une exception à la règle. Il faut savoir que Bill Hewlett et David Packard ont fondé HP sans vraiment savoir quel produit créer – ils voulaient juste travailler ensemble. Ils se sont par la suite focalisés sur les oscillateurs. Cela explique peut-être le fait qu’ils n’avaient pas de vache sacrée et que HP était près à s’étendre sur n’importe quel marché (comme celui des imprimantes laser) pour peu que ca soit de l’électronique. Encore plus étonnant, HP a eu l’intelligence de placer la gamme d’imprimantes laser et d’imprimantes à jet d’encre dans deux divisions séparées, mettant dans les faits les deux divisions en concurrence.

Mais n’est pas HP qui veut. Ce qui me fait penser que malgré les milliards dépensés en R&D, Microsoft, Google et Apple n’ont qu’un faible retour sur investissement.