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Les nouvelles plateformes de jeux vidéo

20 août 2010

Facebook et l’iPhone sont devenus les deux plateformes de jeux vidéo les plus « hot » du moment. Google vient de racheter Slide, un éditeur de jeux sociaux, et a investit dans Zynga, éditeur des très célèbres – et addictifs – Farmville ou Mafia Wars sur Facebook. De son côté, l’iPhone n’est pas en reste. Plusieurs compagnies de capital risque (venture capitalists) ont créé des fonds pour financer des startups développant sur l’iPhone.

Une des raisons de l’engouement est que l’on retrouve une atmosphère similaire au début des jeux vidéo. Dans les années 70 jusqu’au début des années 80, les jeux étaient souvent entièrement écrits par une seule personne. Le développeur était en effet également responsable des graphismes et de la bande sonore. C’est par exemple le cas de Pitfall! (1982). Les capacités des ordinateurs augmentant, les jeux ont pu avoir des graphismes plus poussés et se sont dotés d’une vraie bande sonore. Les équipes de développement se sont donc spécialisées. C’est ainsi que le développeur britannique Steve Bak a écrit de nombres jeux dans les années 80 et 90 en collaboration avec Pete Lyon (graphisme) et David Whittaker (musique).

Les capacités des ordinateurs continuant à augmenter, les jeux ont augmenté en complexité, demandant de plus en plus de monde. Désormais, la création d’un jeu vidéo sur PC ou console demande une équipe entière et de très gros moyens. En 1996 j’avais passé un entretien d’embauche chez Ubi Soft, et déjà un jeu demandait une équipe de dizaines de personnes. Même à l’époque, plusieurs développeurs ne travaillent pas sur des jeux mêmes mais sur la création d’outils pour aider au développement même des jeux. A l’heure actuelle, les jeux vidéo sur PC ou console demandent en moyenne entre $18 et $28 millions selon une étude du cabinet d’analyse M2 (« seulement » $10 million pour les jeux n’existant que sur une seule plateforme). Les jeux célèbres dépassent aisément les $40 millions. Et tout ça sans compter les coûts de promotion. Un des cas les plus extrêmes est Grand Theft Auto IV qui a mobilisé 1000 personnes pendant 3 ans et demi, pour un budget total de $100 millions. De quoi donner le vertige quand on sait que les coûts ne font qu’augmenter !

Certes, GTA 4 s’est vendu à plus de 17 millions d’exemplaires, et a rapporté plusieurs fois la mise. Mais lorsque l’on regarde le palmarès des ventes des jeux vidéo, on remarque que Pitfall sur Atari 2600 s’est vendu à 4 millions d’exemplaire, ce qui est le volume de vente de la plupart des jeux sur PS3 ou Xbox 360. La différence est que Pitfall est un jeu créé par une seule personne en seulement 1000 heures de programmation, soit seulement 6 mois en travaillant 40 heures par semaine !

C’est là où les nouvelles plateformes telles que Facebook ou l’iPhone ont un avantage : des coûts de développement bien moindre. De nombreuses applications iPhone ont été crées par une ou deux personnes. Zynga a été créé par 6 personnes. Et les compagnies de capital risque qui ont investit dans Zynga ont mit sur la table $29 millions. Pour un jeu traditionnel, une telle somme ne couvrerait qu’un seul jeu.

Autre avantage de ces deux nouvelles plateformes : une promotion et distribution moins onéreuse. Toutes deux permettent en effet d’installer facilement et immédiatement des applications (pas besoin d’aller au magasin le plus proche pour acheter un jeu), et sont conçues pour faire fonctionner le bouche à oreille. De nombreuses applications Facebook sont conçues pour avertir nos connexions des jeux que nous utilisons – voir de leur proposer d’installer l’application à leur tour. L’App Store d’Apple, quant à lui, a un système de notation permettant à des jeux d’être au hit parade des ventes ou des logiciels les plus appréciés – que le jeu ait fait de la promotion ou pas.

Finalement, ces deux plateformes sont devenues très populaires. Apple a vendu quelque chose comme 50 millions d’iPhones et plus d’une trentaine de millions d’iPod Touch. Nintendo, par comparaison, a vendu 74 millions de Wii. Facebook, quant à lui, a dépassé le demi-milliard d’utilisateurs.

Tout cela fait que quelques amateurs peuvent sortir des applications et avoir une chance d’avoir du succès. Le top 10 des applications mobiles contient en effet des titres de petits éditeurs (Doodle Jump de Lima Sky, Angry Birds de clickgamer.com ou Pocket God de Bolt Creative)

Le syndrome du loto

Il existe certains métiers dits « extensibles » (scalable en anglais), mais ils sont rares. Un avocat, aussi brillant soit-il, ne peut pas s’occuper de deux clients en même temps. Le nombre de cas qu’il peut traiter par an est donc limité, imposant du même coût une limite à ses revenus. Son métier n’est donc pas extensible. Un développeur de logiciel, par contre, peut vendre à un nombre virtuellement illimité d’utilisateurs. Sur Facebook ou iOS, l’extensibilité est d’autant plus importante que ces deux plateformes sont globales. Une petite équipe de développement totalement inconnue peut sortir un jeu culte et le vendre partout dans le monde, sans avoir à faire de la promotion dans tous les pays.

L’inconvénient des métiers extensibles est que n’importe qui d’autre peut vendre à tout le monde. La concurrence est donc beaucoup plus rude.

Or la plupart des géants des jeux vidéos actuels ont commencé dans les années 70-80, à une époque où le marché était grandement fragmenté. Electronic Arts (fondé en 1982) a commencé par faire des jeux sur Atari 800 et Commodore 64. Activision (1979) a été créé par des anciens d’Atari pour créer des jeux sur la console Atari 2600. Ubisoft (1986) a publié son tout premier jeu sur Amstrad CPC. Infogrammes (depuis devenu Atari Inc.) a commencé à développer sur la gamme Thomson TO7 / MO5 / TO7-70. Si Nintendo a été créée en 1889 (oui, oui, fin 19e siècle), ce n’est bien évidemment que dans les années 70 / 80 que le géant nippon s’est attaqué aux jeux vidéo, d’abord avec les jeux de poche et jeux d’arcade, puis en produisant des jeux pour sa propre console (1983)

Non seulement il existait énormément de plateformes de jeu à l’époque, mais elles étaient limitées géographiquement. Les consoles Nintendo ont pendant longtemps été cantonnées au Japon. L’Amstrad CPC s’est bien vendu en Europe mais a été absent aux Etats-Unis. Les éditeurs de l’époque ont donc eu une concurrence relativement locale. Les ordinateurs Thomson, par exemple, n’ayant été que très peu vendus en dehors de l’hexagone, la concurrence d’Infogrames sur ce marché s’est donc cantonnée à des éditeurs français (ironiquement, Infogrames a pendant des années boudé les ordinateurs Atari avant de racheter l’éditeur américain en 2003 et de reprendre son nom en 2009). Une concurrence restreinte a permit à plusieurs éditeurs de grandir en parallèle sur des marchés relativement protégés.

Car plus un métier est extensible, plus on se trouve dans le cas où une poignée de stars remportent la mise, laissant des miettes aux reste. C’est par exemple le cas de la musique où quelques superstars engrangent des dizaines de millions alors que la plupart des groupes ont du mal à survivre de leur art. C’est le phénomène du Loto, où tout le monde ne regarde que la poignée de gagnants qui empochent une fortune mais ignorent les millions de gens qui perdent systématiquement malgré avoir joué pendant des années.

Si le monde des jeux vidéo est global depuis des années, l’extensibilité s’est accentuée sur Facebook et iOS. Si désormais une équipe de particuliers peut tenter sa chance sur ces deux plateformes sans avoir à dépenser des budgets astronomiques, elle est en concurrence avec des équipes d’amateurs à faible budget du monde entier, et pas seulement des Etats-Unis et d’Europe.

Pas encore de killer game exclusif

Il est intéressant de noter que ces deux plateformes n’ont pas de killer game exclusif, c’est-à-dire de jeu qui justifient à eux seul l’achat d’un iPhone / iPad, ou de passer à Facebook (et qui ne sont disponibles que sur ces plateformes). Lorsque Sony a lancé sa PlayStation, le géant japonais avait plusieurs jeux tels que Toshinden qui ont convaincu à eux seuls de nombreux joueurs d’acheter la console. De même, Microsoft a eu la brillante idée de mettre la main sur Bungie, l’éditeur de Halo. Ce jeu a été la principale raison du succès de la Xbox.

Facebook ne semble pas être intéressé pour acquérir des éditeurs de jeux, sans doute du fait du succès de son service. Certes, Farmville ou Mafia Wars existent sur des sites concurrents tels que MySpace, mais la popularité de Facebook incite les joueurs de jeux sociaux de jouer sur Facebook et non sur MySpace. Mais Google ayant racheté Slide (et va certainement racheter d’autres compagnies), il ne serait pas surprenant que ce dernier ne développe plus que pour le (futur) service concurrent de Google.

Pour ce qui est d’Apple, si la firme à la pomme a toujours développé des logiciels, elle a tendance à développer uniquement des outils essentiels. Les premiers Mac avaient Mac Write, Mac Paint et Mac Draw (traitement de texte et logiciels de dessin de base), mais c’est Aldus et Adobe qui ont fournit les killer apps du Mac avec PageMaker ou Photoshop. Sur iPad, Apple a porté sa suite bureautique (Pages, Numbers and Keynote), mais c’est quasiment tout. Seules 12 malheureuses applications écrites par Apple sont disponibles sur l’App Store de l’iPhone et de l’iPad réunis. Le seul jeu Apple est un jeu de poker, alors que les jeux représentent une partie non négligeable des applications iOS téléchargées. Mais la firme à la pomme fait peu d’acquisitions, et lorsqu’il s’agit d’acquisitions d’éditeurs de logiciels, le but est bien souvent de s’approprier une technologie et non un logiciel complet. Pour Steve Jobs, avoir une plateforme qui rapporte le plus suffit (les possesseurs d’iPhone achètent plus d’applications que sur les autres plateformes mobiles). Mais cela ne veut pas dire que personne ne regarde Android. Beaucoup de jeux disponibles sur iOS sont également disponibles sur Android. Là encore, Google pourrait jouer les trouble-fêtes car la compagnie n’a jamais été frileuse quant il s’agit d’acquisitions et fait beaucoup d’efforts pour inciter les développeurs iPhone à porter leurs applications sur Android.

Faire appel à nos plus bas instincts

Une dernière note sur les jeux vidéo : un type de jeu qui marche très bien est celui qui fait appels à nos plus bas instincts.

Paradoxalement, le sexe n’est pas si couvert que ça par les jeux vidéos, malgré une influence importante (même si cachée) sur la haute technologie. Le Minitel rose a été le marché le plus rentable du Minitel. Sur Internet, les sites Web pour adultes foisonnent. Et on a attribué la victoire de format VHS sur Betamax lorsque l’industrie du X a supporté VHS. Mais c’est justement parce qu’il existe tant de produits liés au sexe que la demande de jeux vidéo adulte n’est pas si importante. Qui plus est, les jeux trop osés sont facilement censurés aux Etats-Unis, contrairement aux jeux violents.

Pour ce qui est de la violence par contre, le domaine est amplement couvert par les jeux vidéo. Les nombreux jeux de guerre ou de jeux de combat tels que Call of Duty, Mortal Kombat ou Mafia Wars nous permettent de tuer ou castagner sans le moindre danger et dans un contexte social acceptable. A noter Worms qui prend une approche originale au jeu de guerre : utiliser des vers de terre en guise de soldats. L’aspect comique et le manque volontaire de réalisme atténuent le sérieux de la chose. On fait toujours joujou avec des armes (bazookas, fusils, grenades, etc.) et on fait toujours tout péter, mais le style très dessin animé rend le tout nettement moins violent.

Mais au-delà de la violence, il existe quelques jeux qui font vraiment appel à nos plus bas instincts. Le très controversé Grand Theft Auto est peut-être l’exemple le plus criant. Le titre même indique le vol de voiture. Dans la 3e version (celle qui a vraiment fait décoller la série) il est même possible de tuer des officiers de police. On remarque d’ailleurs que l’éditeur de la série,  Take-2, est le seul éditeur de poids du marché qui ait été formé après les années 80 (1993). Ironiquement, la plus grande controverse aux Etats-Unis (où Hillary Clinton elle-même est monté au créneau) n’est pas la violence mais la découverte de certaines scènes cachées où le joueur peut avoir des rapports sexuels.

Un autre jeu est Pocket God, un jeu sur iPhone où l’on tient le rôle d’un dieu vénéré par des pygmées sur une ile au beau milieu de l’océan. Le jeu n’a pas de fin en elle-même, si ce n’est de faire trépasser les pygmées des manières les plus vicieuses possibles (on peut en recréer autant que l’on veut) : les envoyer dans l’eau où ils se noient, les balancer dans un volcan en activité, faire que la foudre leur tombe dessus, et de nombreuses autres manières d’assouvir nos instincts sadiques (chaque nouvelle version apporte des manières supplémentaires de tuer les pauvres pygmées). Ce jeu, dont la première version a été développée en une semaine par deux personnes (entre Noël 2008 et le Jour de l’an 2009), a été au top des ventes d’applications sur iPhone. Un an plus tard, deux millions de copies avaient été téléchargées. A noter qu’à l’instar de Worms, Pocket God utilise un style dessin animé qui atténue l’aspect sérieux du jeu.

Il semble qu’il y ait un filon.