Pourquoi le Mac résiste toujours

Selon l’opinion communément admise, le Macintosh d’Apple devrait couler, tué par le modèle d’intégration horizontal. Le PC aurait du lui faire mordre la poussière comme il l’a fait pour Commodore, Atari, Sinclair et tant d’autres.

Pourquoi donc? Parce qu’une fois qu’un marché change d’un modèle d’intégration vertical à un modèle horizontal, il est très difficile – voire impossible – de revenir en arrière. Il est en effet très difficile de lutter contre les économies d’échelles des vendeurs spécialisés.  Dans les années 80 et 90, Compaq a par exemple dépensé des millions en recherche & développement pour concevoir ses propres cartes-mères et avoir ainsi un avantage concurrentiel. Tout ça pour voir la dite concurrence acheter à très bon prix des cartes-mères Intel de fort bonne facture, et sans dépenser un sou en R&D.

Mais contre toute attente, non seulement Steve Jobs a enrayé la chute du Mac, mais il a réussi à lui faire remonter la pente. Le Mac a à l’heure actuelle près de 10% de parts de marché (c’est redescendu en 2009 avec la crise). S’il est loin de renverser Windows, Apple se rapproche des gros constructeurs de PC comme Dell. Qui plus est, la firme à la pomme jouit de marges pensées impossibles dans le monde des constructeurs d’ordinateurs de bureau.

Pour comprendre ce phénomène contre-intuitif, commençons par nous poser la question: pourquoi les gens choisissent-ils un Mac? Parce que ce sont des machines sexy, réputées faciles d’utilisation et stables (« ça marche »), et réputées plus fiables que le PC (moins de virus). Ce dernier avantage doit cependant beaucoup au fait que le Mac est un petit marché. Les hackers se concentrent en effet sur les produits les plus utilisés. Si demain le Mac devient aussi populaire que Windows, il est à parier que l’on verra beaucoup de virus proliférer.

Maintenant, analysons les raisons sous-jacentes du succès du Mac.

La chance, où comment le Web a changé le marché

Si le Web n’a pas remplacé Windows, il a sérieusement diminué son importance – du moins auprès des particuliers. La plupart des les applications que les utilisateurs veulent à tout prix avoir sont en effet sur le Web: Facebook, Hotmail, Google Maps, etc. Pour le reste, le Mac a des applications équivalentes. Picasa (un programme de gestion de photos) a peut-être mis du temps à être disponible sur le Mac, mais ce dernier est livré depuis longtemps avec iLife qui gère (entre autres) les photos.

Dans ces conditions, pour peu que l’on n’ait pas des besoins trop spécifiques, avoir un Mac est une possibilité. C’est pour cette raison que les entreprises ont été beaucoup plus réfractaires au Mac: elles utilisent beaucoup plus de logiciels spécialisés que les particuliers.

Si le Web n’avait pas été inventé, est-ce que le Mac serait aussi populaire? Si les sites Web populaires comme FaceBook, Google Maps ou Wikipedia devaient être portés sur le Mac pour fonctionner sur ce dernier, pensez-vous que les gens soient si excités par Mac OS X? Probablement pas.

L’industrie du PC a involontairement aidé Apple en améliorant le PC

L’avantage d’un modèle horizontal tel que le suit l’industrie du PC est que cela favorise la création de nombreuses compagnies spécialisées.

Mais un modèle horizontal ne peut fonctionner que si les standards entre les différents composants sont clairement définis. Ca aurait été le cas il y a bien longtemps si le PC n’avait pas évolué. De nouveaux standards sont apparus au cours des années (USB remplacé par USB 2.0, PCI remplacé par AGP remplacé par PCI Express, etc.) ainsi que de nombreux périphériques. D’autant plus de risques de briser la compatibilité entre composants.

Microsoft a par exemple mis à mal la compatibilité des PC avec Windows Vista, ce dernier ne supportant pas nombres d’applications et périphériques. Autre exemple, l’essor d’Internet a généré la création de la Webcam. Il y aura peut-être un jour où les pilotes de Webcam seront standardisés (un peu comme le standard TWAIN pour les scanners), mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Résultat de quoi, les Webcams ne marchent pas forcément 100% correctement sur PC.

Apple contrôlant complètement le matériel du Mac (à l’exception des périphériques), cela limite le nombre de combinaisons avec qui Mac OS X doit faire affaire. Par exemple, le fait d’intégrer une Webcam sur quasiment tous les Macs permet au système d’exploitation de savoir exactement la liste des Webcams qu’il peut rencontrer.

Le Mac s’est rapproché du modèle horizontal

Si Steve Jobs est très fier de son modèle d’intégration vertical et proclame à qui veut entendre qu’Apple est la seule compagnie qui est spécialisée dans le matériel ET le logiciel, Apple ne s’en n’est pas moins rapproché du modèle horizontal sur de nombreux aspects.

Fini le temps où les Macs ne fonctionnaient qu’avec une imprimante Apple. De nos jours, ils acceptent n’importe quelle imprimante. De même, les Macs utilisent les mêmes processeurs graphiques que l’on trouve dans les PC. Apple s’est également converti au standard USB pour connecter les périphériques, sacrifiant l’interface Firewire qu’il a pourtant aidé à développer. Malgré tout son dédain du PC, Apple a su tirer partie des avantages de ce dernier.

L’un des arguments d’Apple pour passer au Mac est que vous pouvez émuler Windows si besoin est en utilisant VMware ou Virtual Desktop. Mais cette facilité n’est possible que parce que le Mac a finalement rejoint le rang et adopté des processeurs Intel – un séisme psychologique sans précédant au sein de la firme à la pomme qui a dénigré les processeurs Intel pendant des années.

En d’autres termes, Apple garde un modèle d’intégration verticale, mais uniquement lorsque cela apporte une valeur ajoutée.

Il conçoit toute l’électronique (processeurs exceptés) car cela lui permet d’être beaucoup plus exigeant sur le design de ses machines. Il conçoit parfois ses propres batteries pour les mêmes raisons: avoir des batteries carrées pour moins perdre d’espace dans ses portables. Il a développé sa propre chaîne de magasins car cela lui permet de mieux promouvoir ses produits et d’offrir un meilleur service à ses clients. Mais garder son propre standard de connexion de périphérique n’a que peu d’avantages et limite les périphériques que le Mac accepte.

Des produits sexy

Il faut donner à Steve ce qui est à Steve: il a toujours réussi à produire des machines sexy. Non seulement il a eu de nombreuses fois une vision (qu’il l’ait volée ailleurs ou non), mais il a réussi à diriger une équipe pour transformer cette vision. Depuis que Jobs est revenu chez Apple, ses produits génèrent beaucoup de buzz.

L’obsession de Steve pour le design couplée à l’intégration verticale ont permit à Apple de sortir exactement les machines dont Steve rêvait. Apple peut en effet faire que ce soit le boîtier du Mac qui dicte ses lois à l’électronique interne et non l’inverse.

Les fabricants de PC pourraient aussi concevoir des produits sexy, mais ils le font rarement. Ils copient trop souvent l’existant. Si vous voulez générer du buzz, il faut être le premier à sortir une innovation. HP ou Dell peuvent demain sortir des ordinateurs portables extra-fins, mais à moins qu’ils ne soient encore plus fins que le MacBook Air cela provoquera l’indifférence générale.

Cela ne veut pas dire que les fabricants de PC ne savent pas innover. Certains ont par exemple développé leurs ordinateurs de bureau tout-en-un. Mais ce n’est pas un processus aussi naturel que chez Apple.

Quand la concurrence imite Apple

L’imitation est la forme la plus sincère de flatterie dit-on. Si c’est le cas, l’industrie approuve les méthodes d’Apple:

  • Après avoir tenté en vain de s’attaquer au marché du baladeur MP3 en signant des partenariats avec des constructeurs, Microsoft est passé à un modèle d’intégration vertical avec le Zune.
  • Microsoft a annoncé créer sa propre chaîne de magasins pour promouvoir ses produits, à l’instar des Apple Stores.
  • Dell a annoncé des ordinateurs portables « de luxe » avec la gamme Adamo. Ecran en verre, boîtier en aluminium, design mis en avant (tiens, tiens, ça me rappelle quelque chose)… et même un prix plus élevé qu’un MacBook à configuration équivalente!

Conclusion

Si une compagnie habituée à l’intégration verticale ne peut pas ignorer le modèle horizontal, elle peut cependant y résister. Apple l’a fait grâce à un subtil mélange entre modèle horizontal et intégration verticale. La firme à la pomme a certes eu de la chance avec l’avènement du Web, mais doit une part de son succès en sortant des produits qui sortent de l’ordinaire.

Il est cependant à noter que c’est un combat difficile, et le Mac, même s’il a regagné en popularité, reste un marché de niche. En attendant, c’est un marché fort lucratif pour Apple.

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One Comment sur “Pourquoi le Mac résiste toujours”


  1. […] Etant donné qu’il veut se différentier principalement par son produit, Apple a naturellement préféré utiliser un modèle d’intégration verticale dés que possible. Steve est un maniaque du contrôle et veut tout régenter (« I’ve always wanted to own and control the primary technology in everything we do« ). Or la meilleure manière de tout contrôler est de tout concevoir. Si Apple ne peut bien évidemment pas tout faire (ils ne vont pas commencer à faire leur propre fonderie plastique), ils ont conçu leurs propres composants dés qu’ils peuvent (lire à ce sujet pourquoi le Mac résiste toujours). […]


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