Produit multi-fonctions ou produits spécialisés?

Dans les années 90 la disquette a commencé à présenter des signes de vieillesse – lente, faible capacité et fiabilité douteuse. Si bien qu’une bataille pour la nouvelle disquette s’est lancée entre Iomega et Zipdisk – tous deux tentant d’imposer leur standard de « super disquette ». Le gagnant? Personne! Car la disquette n’a pas été remplacée par une super-disquette mais par une multitude de produits spécialisés.

A l’inverse, un appareil comme l’iPhone fait à la fois office de téléphone portable, borne Internet, baladeur MP3, assistant personnel, appareil photo, caméscope, console de jeu portable et GPS. Bref, 9 produits en un!

Dans quels cas migre-t-on vers un produit multi-fonctions et dans quels cas migre-t-on vers plusieurs produits spécialisés? Passons en revue certains produits qui ont subi cette évolution (dans un sens comme dans l’autre)

La disquette

La disquette était l’exemple type de produit multi-fonctions. Or chacune de ses fonctions a été remplacée par un produit distinct. La disquette servait en effet comme:

  • Stockage de données. Cette fonctionnalité a été remplacée par le disque dur car plus rapide, plus fiable et ayant une plus grande capacité.
  • Support d’installation. Cette fonctionnalité a été remplacée par le CD puis le DVD (plus grande capacité et plus fiable) ainsi que le téléchargement par Internet (plus pratique).
  • Copie de sauvegarde. Cette fonctionnalité a été remplacée par de nombreux produits: disque dur externe, solution de sauvegarde sur Internet, etc. (plus grande capacité, plus rapide et plus fiable)
  • Transfert de données d’un ordinateur à un autre. Cette fonctionnalité a été remplacée par Internet (plus pratique) et les clés USB (plus petit et plus grande capacité).

Comme on le voit, la disquette a été remplacée par plusieurs produits, chacun étant spécialisé dans son domaine de prédilection.

Le système d’exploitation

En 1999, Microsoft avait deux lignes de système d’exploitation: la ligne se basant sur MS-DOS (Windows 95 et 98) et une nouvelle ligne plus moderne destinée aux stations de travail haut de gamme ainsi qu’aux serveurs (Windows NT). NT représentait l’avenir, mais ses performances en matière graphique – critique pour les jeux – ne valaient pas celles ce MS-DOS.

Windows 2000, le successeur de Windows NT 4.0, était sensé fusionner les deux lignes (produit multi-fonctions) et enfin signer la mort de MS-DOS. En utilisant DirectX (une API permettant aux jeux vidéos d’accéder directement au matériel pour plus de rapidité), il pouvait enfin rivaliser en performance graphique avec Windows 95 / 98.  Windows 2000 Professional était destiné à être installé sur le poste client, alors que Windows 2000 Server était destiné à être installé sur un serveur.

Le problème est que Microsoft a essayé de faire faire le grand écart à Windows… et que ça n’a pas marché.

Schématiquement parlant, un système d’exploitation est soit stable, soit rapide. L’un se fait au souvent détriment de l’autre. DirectX améliore les performances pour les jeux, mais se fait au détriment de la stabilité du système.

Or un serveur n’a que faire des performances graphiques et privilégie avant tout la stabilité. Un PC de bureau, par contre, privilégiera la fluidité graphique, même si cela se fait au détriment de la stabilité.

Microsoft a donc été contraint de garder deux lignes de Windows: une pour le poste client (Windows XP, Vista et Windows 7), et une pour le serveur (Windows 2003 et 2008)

Le smartphone

Dés que les produits mobiles se sont multipliés (téléphone portable, PDA, etc.) tout le monde a vu l’intérêt d’un produit multi-fonctions. Et pour cause: les utilisateurs ne veulent pas avoir 36 appareils portables à la ceinture.

Un produit tout-en-un tel que le smartphone a été possible grâce à la miniaturisation. Car du moment que l’on peut miniaturiser suffisamment, n’importe quel outil portable muni d’un écran suffisamment grand peut aisément remplacer un baladeur MP3, un GPS, un assistant numérique ou une console de jeu portable. Ces derniers n’ont pas d’avantage compétitif, comme une clé USB (produit spécialisé) a par rapport à une disquette (produit multi-fonctions)

Les seuls appareils plus difficiles à intégrer dans un produit tout-en-un sont le téléphone portable et l’appareil photo. Avant les smartphones, la tendance des téléphones portables était de devenir de plus en plus petit. Un smartphone au contraire demande un écran le plus grand possible. C’est pour cette raison qu’Apple a pensé à un écran tactile pour son iPhone afin d’utiliser une partie de la surface de l’appareil à la fois comme écran et comme clavier.

De la même manière, un appareil photo est difficile à intégrer dans un appareil tout-en-un. Les contraintes physiques de l’optique limitent en effet le type d’objectif que l’on peut embarquer dans un appareil qui fait moins d’1cm d’épaisseur. Les téléphones ont contourné le problème en utilisant le « zoom numérique ». En d’autres termes, avec une résolution suffisamment importante on peut zoomer en agrandissant l’image. La technologie aidant, ils atteignent désormais des résolutions décentes. Si les puristes garderont un appareil photo et/ou un caméscope, les téléphones portables ont de nombreux avantages. Et tout d’abord celui d’être toujours sous la main (quasiment tout le monde a son portable sur soi, mais rarement son appareil photo). Ensuite, de pouvoir facilement envoyer l’image à un autre téléphone. Les derniers iPhones vont même plus loin: taper sur l’écran pour déterminer où focaliser l’image, et possibilité d’associer la location physique ou de la poster le plus facilement du monde sur son blog.

Si bien qu’à l’heure actuelle l’évolution va vers un appareil tout-en-un.

Il est cependant possible que des gens découvrent des inconvénients pratiques. Car qui dit avoir un produit tout-en-un dit le risque de tout perdre si l’appareil est endommagé ou volé. Quelqu’un qui chipe votre smartphone a accès à vos dernières photos, votre carnet d’adresse, vos chansons, vos sites Web favoris, etc. Je ne pense pas cependant que cela arrêtera grand monde.

L’imprimante / fax / scanner / photocopieuse

Autre produit multi-fonctions qui prend de l’essor: l’imprimante / fax / scanner / photocopieuse.  Ce type de produit a réellement su tirer partie des synergies entre les différents composants qu’il remplace. Le principal composant d’une imprimante et d’un scanner est respectivement un mécanisme d’impression et de lecture d’une page – deux composants utilisés par une photocopieuse et un fax.

Si très peu de particuliers ne sont intéressés par acheter une photocopieuse – leur usage est trop occasionnel – beaucoup sont près à payer un peu plus cher pour que leur imprimante fasse également photocopieuse.

Evolution

Le choix d’un modèle produit multi-fonctions / produits spécialisés est influencé par plusieurs facteurs: les performances, le prix, la taille et les fonctionnalités.

Pour ce qui est des performances, le temps favorise les produits tout-en-un. Des produits séparés étant spécialisés, un produit multi-fonctions peut rarement rivaliser d’un point de vue purement performance. Mais il faut se rappeler que toute technologie atteint à terme un niveau où elle rattrape et dépasse les besoins de la plupart des utilisateurs. C’est le cas du GPS, de la photo numérique, de l’imprimante, du baladeur MP3, et de bien d’autres produits. Certes il existe des gens qui veulent le dernier appareil photo ou le baladeur MP3 avec 300Go de disque, mais ils ne constituent pas une majorité. Certes, l’appareil photo inclus dans un smartphone ne vaut pas un appareil photo traditionnel. Mais la résolution est suffisante pour de plus en plus de gens.

Pour ce qui est du prix, le produit multi-fonctions a souvent l’avantage du fait qu’il utilise souvent des composants de moins bonne qualité (l’objectif photo d’un smartphone ne peut se comparer à celui d’un appareil photo traditionnel) et qu’il réutilise ses composants. Lorsqu’on achète une imprimante et une photocopieuse, on paye deux moteurs d’impression. Lorsqu’on achète une imprimante multi-fonctions, on n’en paye qu’un. De même, l’écran tactile d’un smartphone est utilisé par toutes les applications (appareil photo, téléphone, etc.)

Pour ce qui est de la taille, le temps joue également en faveur des produits tout-en-un, du fait de la constante miniaturisation des composants. Etant donné la taille des téléphones portables dans les années 80, un smartphone tel que l’iPhone aurait été difficilement concevable à l’époque – indépendamment du prix. Le résultat aurait été beaucoup trop volumineux. Mais il existe un seuil au-delà duquel les produits spécialisés ne bénéficient plus autant de la réduction de taille des composants (un appareil photo doit avoir une taille minimum pour être pratique). Plusieurs d’entre eux deviennent plein de vide (c’est le cas des chaînes hi-fi), d’autres ne s’embêtent plus à miniaturiser. Au final, un smartphone prend moins de place que la somme des produits qu’il remplace – fort utile lorsqu’on ne veut qu’un appareil sur soi. Et il n’y a guère que les entreprises pour dédier un bureau entier pour une imprimante, un fax et une photocopieuse.

Finalement, pour ce qui est des fonctionnalités, les deux modèles ont leurs avantages et leurs inconvénients. Les produits spécialisés offrent généralement beaucoup de fonctionnalités poussées. Un appareil photo haut de gamme possède par exemple un objectif interchangeable – inconcevable pour un smartphone. Mais les produits multi-fonctions offrent parfois des synergies entre leurs divers composants, comme l’iPhone (envoyer facilement une image sur Internet, etc.). Dans le cas des imprimantes multi-fonctions, pouvoir faire des photocopies est une fonctionnalité supplémentaire dans la mesure où peu de particuliers ne vont s’acheter une photocopieuse – c’est donc une fonctionnalité qu’ils n’auraient pas autrement.

Dans le cas du smartphone, le prix, la taille et les fonctionnalités ont fait que l’iPhone a été un succès. Pareil pour les imprimantes multi-fonctions.

Dans le cas du système d’exploitation, les besoins en performances font qu’un OS multi-fonctions n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais on se rapproche petit à petit d’un tel modèle. Microsoft a finalement réussi à tuer MS-DOS et faire que toutes les versions actuelles de Windows dérivent de Windows NT – même s’il doit encore gérer en parallèle deux familles de système d’exploitation. De même, Linux existe sur les supercalculateurs les plus puissants comme sur certains smartphones ou dans l’enregistreur numérique TiVo. Chaque version de Linux reste grandement personnalisée pour répondre à des besoins spécifiques, mais cela représente un grand changement par rapport aux années 80 où l’OS était cantonné à un type unique d’ordinateur. Peut-être qu’un jour les performances seront telles qu’il existera une version de Linux universelle que l’on peut installer partout. Mais on en est encore loin.

Le cas de la disquette est intéressant car c’est le seul produit multi-fonctions de cet article qui ait été remplacé par plusieurs produits spécialisés. Le principal avantage de la disquette était son prix – un lecteur de disquette était suffisamment cher dans les années 70 et 80, avoir plusieurs produits spécialisés aurait été prohibitif. Lorsque d’autres technologies sont devenues abordables, les utilisateurs ont préféré payer plus cher pour de meilleures performances et fonctionnalités. La disquette n’offrait que peu de synergies entre les différentes fonctions (la seule était la possibilité de lancer un programme de la disquette, sans avoir à l’installer), au contraire (toutes les fonctions demandant l’accès au lecteur, il fallait donc constamment jongler entre les diverses disquettes). Il est intéressant de noter que le remplacement s’est fait progressivement. Le disque dur a d’abord été vu comme un complément de la disquette (c’est avec le disque dur qu’est apparue la notion d’installer un programme). Puis le CD a remplacé les disquettes d’installation (fini les 13 disquettes pour installer Windows, dont une a des chances d’être endommagée). Et ainsi de suite. Lorsque la bataille pour la future disquette a commencé, il était déjà trop tard.

Quant à une fusion disque dur / CD / DVD / clé USB / Internet, elle reste encore floue. La fusion la plus probable est l’abandon de certaines technologies, comme du CD/DVD au profit du téléchargement. On peut toutefois noter un rapprochement entre les disques dur et les clés USB: d’une part on trouve des disques durs au format USB, et d’autre part la mémoire flash a tellement augmenté en capacités qu’elle existe sous forme de disque dit à état solide. Il reste cependant à voir si les utilisateurs veulent que leur principal disque (celui sur lequel ils ont tous leurs programmes et toutes leur données) se comporte comme une clé USB que l’on peut partager avec d’autres personnes. A part ça, on peut imaginer un disque qui sauvegarde automatiquement ses données sur Internet. Mais je ne suis pas au courant d’un tel produit.

Conclusion

La tendance générale est donc vers les produits multi-fonctions. Mais c’est sans compter les besoins en fonctionnalités qui changent sans cesse les attentes des utilisateurs. C’est comme ça que la disquette est morte.

Un produit multi-fonctions peut également subir de la concurrence sur une seule de ses multiples applications. Par exemple, les imprimantes multi-fonctions n’impriment pas des photos de la même qualité que les imprimantes personnelles dédiées à la photo. Ce n’est qu’une question de temps, mais en attendant les imprimantes à photos ont leur créneau. De même, le GPS pré-installé dans les voitures (produit spécialisé) fait concurrence au GPS contenu dans un smartphone, car il offre un écran plus grand et est toujours branché.

Enfin, un produit multi-fonctions qui pourrait avoir de la concurrence est l’ordinateur de bureau (PC ou Mac). Car un PC a plusieurs applications – jeux, accès Internet, bureautique, graphisme, etc. – qui sont parfois concurrencées par des produits spécialisés. C’est par exemple le cas des jeux vidéos (les consoles de jeu). De même, certains utilisateurs commencent à préférer leur smartphone pour certaines applications (lire ses emails est le cas le plus fréquent). Si on voit mal l’ordinateur de bureau disparaître, il est possible que le consommateur passe moins de temps sur son PC ou Mac et plus sur d’autres appareils spécialisés ne nécessitant pas autant de maintenance. Mais cela dépendra grandement des futurs appareils électroniques qui sortiront – ou ne sortiront pas. Si demain quelqu’un sort un appareil dédié à la création graphique qui offre des fonctionnalités difficilement copiables par un ordinateur (cas purement hypothétique, je ne sais pas si c’est possible), le Mac aura du souci à se faire.

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2 commentaires sur “Produit multi-fonctions ou produits spécialisés?”


  1. […] est souvent à un produit multifonctions au lieu de plusieurs appareils spécialisés. Mais il existe des cas où le modèle de plusieurs produits spécialisés s’impose. Par exemple, les consoles de jeu […]


  2. […] jeu portables ont été victimes d’une concentration des appareils de poche, un marché où les produits multifonctions ont l’avantage. La tendance est en effet aux appareils de poche qui font office […]


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